mardi 30 août 2011

“Il est naturel de croire que l'intérieur des pyramides fut toujours nu et dégarni” (baron Taylor - XIXe s.)

Dans son ouvrage L'Égypte, par le R. P. Laorty-Hadji (1856) (*), l’auteur, homme d’art et philanthrope français Isidore Justin Séverin Taylor, dit le Baron Taylor (1789-1879), résume les connaissances de son époque en matière de pyramidologie.
Cette relation ne comporte aucune révélation particulière. Elle n’est, à proprement parler, d’aucun apport à l’égyptologie scientifique. Seule pointe, de-ci de-là, l’impression d’une “idée grandiose” ou l’expression d’une réelle admiration pour le travail des bâtisseurs égyptiens.
On sait, il est vrai, que le baron Taylor avait un autre centre d’intérêt pour l’Égypte, dans la mesure où il a joué un rôle dans le transfert de l’obélisque de Louxor en France et son installation sur la place de la Concorde, à Paris. Il ne pouvait toutefois pas faire l’impasse sur les pyramides. Son récit se limite à être une bonne synthèse de ce qui devait être su, à son époque, des merveilles architecturales du plateau de Guizeh. Comme tel, il mérite d’être connu.

(*) On remarquera l’humour teinté d’un brin de provocation : “Laorty” est un anagramme de Taylor. “R.P.” doit signifier “Révérend Père”, titre qui s’accommode mal avec “hadji”, ce terme étant réservé aux Musulmans ayant accompli les rites du pèlerinage à la Mekke.

 
Le baron Taylor, par Nadar 
“C'est à la hauteur de Giseh, au delà du Nil, que se trouvent les grandes pyramides qui font depuis tant de siècles l'admiration du monde. L'impression que produit leur aspect gigantesque est encore augmentée par la transition brusque où l'on passe en venant du Caire. Après avoir traversé le Nil au vieux Caire près de l'île de Roudah, et marché pendant deux heures à travers des prairies verdoyantes et des jardins pleins de fraîcheur, tout à coup, à un quart de lieue des pyramides, la végétation cesse et les sables commencent avec le silence et l'isolement.
Quand on a vu ces monuments, il est impossible de ne pas en conserver une idée grandiose. Dix lieues avant d'y arriver on les découvre, et quand on en approche, ils semblent fuir devant le regard. Cependant le véritable sentiment de leurs proportions ne se manifeste que lorsqu'on est près de leur base. Alors seulement on peut juger de la grandeur de ces prodigieux monuments. La rapidité de leurs pentes, le développement de leur surface, la mémoire des temps qu'elles rappellent, le calcul du travail qu'elles ont coûté, l'idée que le déplacement des énormes matériaux qui ont servi à leur construction a été l'ouvrage de l'homme, tout saisit l'âme à la fois d'étonnement, d'humiliation et de respect, tout contribue à confondre les prétentions du monde moderne, qui n'a rien créé d'égal, pour la grandeur, la force et la durée, à ces merveilles du monde antique.

Photo Simon Cog
Les pyramides de Giseh sont assises sur un plateau de roche calcaire, élevé de cent trente pieds au-dessus du niveau du Nil. Trois d'entre elles sont particulièrement importantes. Elles sont sur une ligne diagonale, distantes les unes des autres d'environ cinq cents pas, leurs quatre faces répondant aux quatre points cardinaux. Deux, celles de Chéops et de Chéphren, sont surtout remarquables par leur masse et par leur élévation prodigieuse. La grande pyramide, qui porte le nom de Chéops, est la plus septentrionale. Les abords en sont obstrués par des monticules de sable et de décombres qui servent de chemin pour parvenir à l'entrée située à quarante pieds de la base. Cette entrée regarde le nord, et se trouve au niveau de la quinzième assise.
Pour pénétrer dans l'intérieur du monument, il faut, armé de flambeaux et de torches, se laisser glisser par une galerie étroite et rapide, qui semble précipiter les visiteurs dans les entrailles de la terre ; puis, remontant par une rampe raide et ascendante, on arrive, non sans peine, sur un palier horizontal. Ces canaux souterrains sont en pierres calcaires, parfaitement unies et appareillées. Comme tous n'ont que trois pieds et demi de hauteur, on n'y peut marcher que courbé, ce qui rend cette visite très fatigante. À l'entrée de la galerie horizontale se trouve un puits de deux cents pieds de profondeur sur deux pieds de diamètre et entièrement taillé dans le roc. Plus loin et sur le même plan, un corridor toujours étroit et bas conduit à la chambre dite de la Reine. Cette pièce, dont les murs sont en pierres calcaires, est totalement dégarnie, sans ornements, sans inscriptions ni corniches. Elle a dix-huit pieds de long sur seize de large et dix-neuf de hauteur. En dehors de cette chambre et au bout du palier horizontal, continue la rampe ascendante, cette fois plus haute et plus spacieuse, mais aussi plus rapide et plus pénible à gravir. Ses deux côtés sont garnis de banquettes en pierres parsemées de trous. Cette rampe mène à un deuxième palier, et là tout annonce que l'on va voir la pièce mystérieuse et sacramentelle du monument. Une clôture compliquée dans sa construction, et qui porte les traces d'une ouverture violente, mène dans la chambre dite du Roi. Cette chambre est un parallélogramme de trente-deux pieds de long sur seize pieds de large et dix-huit de hauteur. Elle est construite en larges blocs de granit d'un poli admirable. Sept pierres énormes traversant d'un mur à l'autre en forment le plafond. Un sarcophage en beau granit s'y fait remarquer, placé du nord au sud : vide et sans ornements, on voit qu'il a été violé par la main des hommes et que son couvercle a été arraché.
Photo Simon Cog
Voilà tout ce que l'on trouve dans cet immense monument : deux petits sanctuaires comme engloutis dans cette masse de pierres. Pour jouir de ce spectacle, le visiteur est obligé d'aspirer durant un heure entière un air rare et méphitique, de se débattre contre des nuées de chauves-souris, qui, se jetant sur les flambeaux, étourdissent les curieux par le bruit de leurs pattes ailées, et les suffoquent par leurs exhalaisons fétides. (...)
Aujourd'hui, les progrès de l'archéologie égyptienne ne laissent plus de doute sur les noms des fondateurs des pyramides de Gizeh. Le pharaon qui a bâti la plus grande est Choufou, dont le nom se lit ainsi sur plusieurs cartouches à l'intérieur du monument. C'est le roi qu'Hérodote nomme Chéops. En divers endroits de la seconde pyramide, on a lu le nom de Chafra, que l'historien grec appelle Chephren. Quant à la troisième pyramide, le sarcophage trouvé dans la salle extérieure et conservé au British Museum, est celui du roi Menkari, le Mycérinus d'Hérodote. Comme on ne retrouve dans l'inscription de ce monument ni le style ni les formules archaïques, quelques savants pensent qu'un roi bien postérieur aura fait exécuter ce tombeau en l'honneur de Mycérinus. Cette pyramide elle-même, dont l'érection primitive appartient certainement à ce dernier pharaon, paraît avoir été refaite sous un de ses successeurs, en sorte que rien ne s'oppose à ce que le cercueil qu'on y a découvert soit d'une époque comparativement récente.
Mais si la science moderne confirme (sauf une altération de forme qui s'explique parfaitement) le témoignage d'Hérodote sur les noms des fondateurs des pyramides, elle recule de bien des siècles la date de l'érection de ces monuments. D'après Hérodote et les fragments de Manéthon, peut-être mal interprétés, on avait généralement pensé que les règnes de Chéops et de ses successeurs étaient postérieurs à celui de Sésostris ou Rhamsès le Grand (...) ; aujourd'hui que la chronologie confuse des anciens pharaons a été en partie débrouillée par les travaux des successeurs de Champollion, on croit avoir trouvé la preuve que Choufou (Chéops) et les deux rois qui régnèrent immédiatement après lui appartiennent à la quatrième dynastie, ce qui, suivant les calculs de quelques égyptologues, ferait remonter la fondation des pyramides de Gizeh à plus de quatre mille ans avant notre ère.
Quant à la destination de ces merveilleux monuments, la tradition la plus probable et la plus rationnelle est celle qui voit dans les pyramides des tombeaux grandioses élevés à la mémoire des rois qui les ont bâties. Si l'on considère la forme intérieure de ces édifices, leurs galeries basses et mystérieuses, leurs clôtures en pierres granitiques, leurs caveaux étroits, propres tout au plus à loger un mort; si l'on compare leur construction à celle des monuments funèbres qui les avoisinent, leur situation dans une lande stérile, près de la plaine des Momies, nécropole de Memphis, on est amené à adopter l'explication de Strabon, d'Hérodote et de Diodore de Sicile. L'imagination pourrait, à la rigueur, se refuser à croire qu'un homme ait eu assez de pouvoir sur tout un peuple pour le forcer pendant vingt ans de sa vie à entasser pierre sur pierre, afin de lui bâtir un tombeau ; mais il ne faut jamais, en fait de mœurs et d'usages, juger par analogie. Tous les abus, toutes les tyrannies ont été possibles dans un temps et dans un pays où la royauté constituait une espèce de sacerdoce. Toutefois, des savants ont essayé de donner aux pyramides une autre destination. D'après eux, ces monuments ont été à la fois votifs et scientifiques. Les uns y ont vu une érection destinée à perpétuer le système géométrique des Égyptiens, les autres des observatoires d'astronomie.
À l'appui de ces diverses opinions, des faits ont été cités, des remarques minutieuses ont été recueillies; mais rien de positif, rien d'incontestable n'est ressorti de la lutte de ces différents systèmes. Aussi, tant qu'une certitude contraire ne sera point acquise, il sera plus naturel de croire avec tout le monde que Chéops et ses successeurs élevèrent ces pyramides pour leur servir de sépultures. (...)
Quant à la nature et à l'origine des matériaux qui ont servi à la construction des pyramides, les auteurs anciens se trouvent d'accord sur ce point avec les observateurs plus récents. Ils se réunissent tous pour dire que les pierres calcaires qui composent le massif de ces gigantesques édifices ont été extraites de la chaîne arabique du Mokattam, et que les blocs granitiques proviennent des carrières de la haute Égypte. De vastes souterrains que l'on trouve aux environs du Caire indiquent assez que des fouilles prodigieuses ont été faites dans les flancs de la montagne, ce qui concourrait à établir d'une manière à peu près incontestable l'extraction des blocs employés dans l'érection des pyramides.
Il est difficile de préciser la date de la violation de ces monuments. Un seul fait paraît prouvé, c'est qu'elle eut lieu sous les califes. Les historiens arabes qui en ont parlé l'ont tous fait avec leur exagération ordinaire. Suivant les uns, ce serait le calife Al-Mamoun qui, ayant vu les pyramides, aurait voulu en connaître l'intérieur. Après de longs travaux et de longues peines, il pénétra, dit la tradition, dans une chambre où se trouvait une statue en pierre, renfermant un corps humain, qui portait sur la poitrine un ornement d'or enrichi de pierreries, et sur sa tête une escarboucle de la grosseur d'un œuf, éblouissante comme le soleil, avec des caractères que nul homme ne put lire. D'autres attribuent l'ouverture de la grande pyramide à Haroun-al-Raschyd, ou à Saladin ; mais il n'existe aucune concordance ni sur la manière dont on força l'entrée, ni sur les objets que l'on trouva à l'intérieur.
D'après les écrits des Arabes, c'est tantôt un réduit mystérieux, espèce de sanctuaire sacerdotal, chargé de mystiques inscriptions et de signes cabalistiques ; tantôt ce sont des monuments scientifiques; d'autres fois enfin des sépultures royales, dont les flancs étaient remplis de momies, et la partie supérieure de statues en pierres étincelantes, de vases d'or et d'instruments de guerre. Dans tous ces récits merveilleux perce l'imagination arabe, écrivant l'histoire d'après les contes qui se transmettaient d'une famille à l'autre, d'une génération à une autre génération, et qui se racontaient dans les veillées. Il est toutefois naturel de croire que l'intérieur des pyramides fut toujours nu et dégarni, et que la profane avidité des califes demeura trompée par le résultat des fouilles. Cette opinion acquiert un grand degré d'évidence quand on songe que les rois d'Égypte qui les firent élever pour leur sépulture, tenant par-dessus tout à ce qu'elles demeurassent à l'abri de toute profanation, n'auraient pas voulu tenter par un luxe d'ornements inutiles l'avarice de leurs successeurs.”

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